Dans le nord-est de la Syrie, une lutte quotidienne pour accéder aux services essentiels
Au nord-est de la Syrie, dans les gouvernorats d'Al-Hasakah et de Raqqa, des années de guerre ont affaibli les infrastructures et les systèmes de santé. L'accès aux soins de santé, à l'eau et à la nourriture y est de plus en plus précaire. Médecins Sans Frontières (MSF) a mené une enquête auprès de 150 familles issues des communautés locales et de personnes déplacées internes dans le gouvernorat d’Al-Hasakah. Cette évaluation a confirmé que les habitants font face à d’immenses obstacles et luttent pour accéder aux services essentiels.
La quasi totalité des personnes interrogées (90%) a déclaré avoir reporté ou évité des soins médicaux en raison du coût élevé des consultations et des médicaments, du manque d’établissements proches ou fonctionnels, et des difficultés liées au transport. Alors que 85% d’entre eux ont déclaré qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille souffraient d’au moins une maladie non transmissible (MNT).
« Nous n’avons pas pu obtenir de médicaments pour la maladie chronique de mon père pendant plus de quatre mois. Son état s’est aggravé et s’est compliqué, nécessitant finalement une intervention chirurgicale urgente. Nous avons tout fait pour réunir l’argent nécessaire à l’opération, mais il était trop tard. Mon père est décédé », raconte *Khoula, une habitante d’Al-Hasakah.
Les équipes de MSF collaborent avec les autorités sanitaires locales pour tenter de répondre à ces besoins. Elles y soutiennent notamment des cliniques spécialement conçues pour le traitement des MNT.
L’accès à l’eau reste un défi majeur dans la région. Selon l’enquête seulement 37 % des ménages ont un accès régulier à une quantité suffisante d’eau pour répondre aux besoins d’hygiène et domestiques de base.
Depuis 2019, les interruptions répétées de la station d’Allouk, principale source d’eau potable pour près d’un million de personnes, vivant dans les environs, ont contraint les familles à se tourner vers des sources d’eau non sécurisées et non réglementées. « Nous ne nous lavons qu’une fois tous les cinq jours maintenant. Nous devons choisir entre être propres et être hydratés », déclare *Khalid, un homme de 26 ans déplacé à Al-Hasakah pendant les années du conflit.
Les femmes sont les plus touchées par l’insécurité hydrique. Ce sont elles qui sont le plus souvent responsables de l’approvisionnement en eau du foyer. Elles doivent parcourir de longues distances et sont exposées lors de ces déplacements à l’épuisement physique, au harcèlement et à la violence sexuelle.
« Je récupérais notre allocation d’eau au réservoir communautaire. L’homme chargé de la distribution a insisté pour que je rentre afin qu’il puisse “m’aider”. En s’approchant, il m’a touchée de manière inappropriée. J’étais tellement bouleversée que je suis partie sans prendre l’eau. Depuis, je n’y suis jamais retournée seule », raconte *Fatima, une femme de 27 ans d’Al-Hasakah.
Les équipes de MSF ont récemment réhabilité 12 puits à Al-Hasakah et soutenu la réhabilitation de deux stations d’eau (Al Aziziah et Al Hamma) en prévision d’un éventuel redémarrage de la station d’Allouk, afin d’assurer l’accès à l’eau potable pour les communautés locales.
La région connaît aussi des taux de pauvreté importants, les revenus mensuels médians sont de 150 dollars US par ménage, avec des écarts immenses (de 15 à 200 dollars US). La nourriture est devenue de plus en plus inaccessible pour les familles à faibles revenus, 77 % des ménages interrogés déclarent manquer de nourriture plusieurs fois par mois. Leur pouvoir d’achat est insuffisant pour couvrir même les besoins alimentaires les plus élémentaires.
« La crise dans le nord-est de la Syrie ne concerne pas seulement le conflit ; elle concerne l’érosion quotidienne de la possibilité des gens à vivre dignement. Ces chiffres soulignent une situation humanitaire qui se dégrade fortement », déclare Barbara Hessel, responsable des programmes de MSF dans le nord-est de la Syrie.
Les équipes MSF présentes à Raqqa gèrent des unités de nutrition hospitalières et ambulatoires pour prendre en charge les enfants souffrant de malnutrition.
Enfin, l’enquête a également dévoilé que de nombreuses personnes déplacées internes à Al-Hasakah ne pouvaient pas retourner dans leur région d’origine en raison de leurs craintes toujours prégnantes en matière de sécurité, du manque d’abris et de l’absence de soutien humanitaire pour les personnes retournées.
Il est impératif aujourd’hui d’intensifier les financements humanitaires dans le Nord-est de la Syrie pour répondre une grave détérioration des conditions de vue et de la santé de la population.
« Les gens sont contraints de faire des choix impossibles, entre acheter de la nourriture, des médicaments ou de l’eau », déclare Barbara Hessel. « Sans investissement immédiat et volonté politique, des milliers de personnes continueront à souffrir démesurément »
*Les noms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.